Introduction
Combien de jeux sur Sherlock Holmes pouvez-vous citer ? Et pourtant, il en existe une dizaine, chacun représentant bien plus qu’une simple enquête policière soigneusement élaborée : ils reflètent également différentes époques et approches de game design. Tout cela, c’est l’œuvre du studio ukrainien Frogwares, qui travaille sur cette franchise depuis 2002. En plus de 20 ans d’existence, la série a su monopoliser la représentation du célèbre détective dans l’univers vidéoludique, réaffirmant son statut iconique dans le monde des enquêtes. Notre article vous aidera à naviguer dans cette abondance d’informations : quel jeu convient aux débutants, lequel plaira aux nostalgiques, et lesquels valent à peine qu’on s’y attarde.
Sherlock Holmes: Le Mystère de la Momie (The Mystery of the Mummy), 2002
Intrigue
Le premier jeu de la série propose une intrigue classique dans le style des romans de Conan Doyle. Holmes arrive dans le manoir de Lord Montcalfe pour enquêter sur la mystérieuse disparition de son propriétaire — un archéologue britannique qui s’est volatilisé lors de sa dernière expédition en Égypte. Bien sûr, l’histoire ne manque pas de mystère : dans le cercle proche de l’archéologue, on murmure l’existence d’une malédiction de momie…
Style et gameplay
Le jeu est un classique du genre point-and-click, avec des lieux fixes et des cinématiques. Les graphismes, bien que minimalistes pour 2002, parviennent tout de même à recréer l’ambiance de l’époque victorienne. Quant à l’accompagnement musical, bien que modeste en termes de moyens, il réussit à souligner efficacement la tension.
L’aventure se déroule à la première personne, « à travers les yeux » du protagoniste. Le jeu est divisé en cinq niveaux se déroulant dans 35 pièces du manoir, et comprend plus de 30 énigmes. Comme dans tout bon jeu d’aventure classique, il est souvent nécessaire d’utiliser une loupe pour examiner des traces au sol, de combiner divers objets pour créer des outils utiles à l’enquête, et de lire des lettres et notes dispersées dans les niveaux.
Accueil
Il n’y a pas de mystère ici — il s’agissait d’une expérimentation qui, en théorie, aurait pu échouer. Frogwares débutait tout juste dans le développement de jeux, et beaucoup considèrent cette œuvre comme « brute ». Comme l’a raconté le directeur du studio, Waël Amr, en 2004 : « Nous avons commencé le développement de ce premier jeu à partir de zéro : aucune expérience, aucun conseil, aucune aide, c’était un véritable défi.«
Cependant, à la surprise générale, le jeu a rencontré un succès commercial notable (environ un million d’exemplaires vendus dans le monde en 2003), ce qui a encouragé les développeurs à se lancer dans la création du prochain volet de la série.
Sherlock Holmes: La Boucle d’argent (The Case of the Silver Earring), 2004
Intrigue
Octobre 1897. Sherlock Holmes et le Dr Watson sont invités au manoir de Sherringford Hall. L’occasion est le retour à Londres de la fille du propriétaire, Melvyn Bromsby, un industriel renommé. Lors de l’ouverture solennelle de la soirée, M. Bromsby s’apprête à annoncer une importante nouvelle concernant son entreprise de construction. Mais, conformément aux règles du genre, un coup de feu fatal interrompt son discours. La mission des détectives : découvrir qui se cache derrière ce crime de sang-froid.
Style et gameplay
Comme on pouvait s’y attendre, ce deuxième opus offre des graphismes nettement supérieurs, plus détaillés que ceux du précédent. L’aspect musical est également enrichi : cette fois, on y trouve des compositions classiques d’Edvard Grieg, Antonín Dvořák, Robert Schumann et Piotr Tchaïkovski, interprétées par l’Orchestre symphonique d’Ukraine.
De nouvelles fonctionnalités font leur apparition, par exemple des scènes d’interrogatoires et des interactions avec les PNJ renforcent l’immersion. En termes de mécanique, des innovations notables sont présentes : contrairement au premier jeu où l’on joue à la première personne, celui-ci adopte une perspective à la troisième personne. Les personnages sont en 3D, tandis que les décors restent statiques. On retrouve des éléments classiques du genre comme un inventaire, un carnet pour les dialogues et une carte facilitant les déplacements.
Bien que le jeu ne soit l’adaptation d’aucune œuvre de Conan Doyle, les développeurs ont su créer une intrigue originale parfaitement intégrée à l’univers de Sherlock Holmes. Cela s’explique peut-être par le fait qu’à l’époque, le directeur du studio faisait partie de la Société Sherlock Holmes de France et avait bénéficié de nombreuses consultations avec ses membres. Ces échanges ont permis d’assurer la conformité de l’œuvre avec les canons des récits classiques du détective. En résumé, La Boucle d’argent, tout en approfondissant le travail amorcé dans le premier jeu, s’efforce de corriger ses erreurs, mais les efforts restent encore quelque peu amateurs.
Accueil
Ce premier pas vers un « jeu sérieux » a globalement reçu un accueil plus favorable que le précédent. La Boucle d’argent a été saluée pour sa réalisation technique, mais critiquée pour son intrigue jugée « attrayante mais simpliste », pour une représentation stéréotypée du détective et pour les fréquents retours frustrants aux mêmes lieux. Quoi qu’il en soit, poursuivons notre chemin.
Sherlock Holmes: La Nuit des sacrifiés (The Awakened), 2008
Intrigue
Un jeu singulier où l’univers de Conan Doyle rencontre celui des œuvres de Lovecraft. Sherlock Holmes s’ennuie à nouveau sans une affaire digne de son intérêt. Le Dr Watson l’informe de la disparition étrange du domestique maori d’un de ses patients. En enquêtant, Holmes découvre qu’un grand nombre de personnes apparemment sans lien entre elles ont disparu récemment. Les détectives devront explorer les recoins sombres de Londres, voyager en Suisse et à la Nouvelle-Orléans, pour remonter la piste d’une secte mystérieuse vénérant un ancien démon marin sur les côtes occidentales de l’Écosse.
Style et gameplay
Les graphismes 3D ont fait un bond qualitatif, rendant non seulement les personnages, mais aussi les décors entièrement tridimensionnels. Cette fois, les développeurs offrent pour la première fois la possibilité de choisir entre une vue à la première ou à la troisième personne pour jouer en tant que Sherlock. Les visuels sont plus détaillés, et les paysages ainsi que les lieux visités sont beaucoup plus variés. Grâce à cela, les auteurs ont réussi à souligner le contraste entre la rationalité de Sherlock et les horreurs irrationnelles et chtoniennes qu’il affronte.
En outre, contrairement aux jeux précédents, La Nuit des sacrifiés permet de contrôler le détective non seulement à la souris, mais aussi avec le clavier, un ajout qui reflète l’écoute attentive des retours des joueurs et une volonté de progresser.
Accueil
Ce jeu a prouvé que la série pouvait expérimenter et explorer une profondeur narrative inédite. Il a reçu des critiques généralement positives, bien que mitigées par moments, de la part des joueurs et des experts. Beaucoup ont salué la réduction des énigmes trop complexes qui avaient divisé les avis dans le deuxième jeu. Enfin, certains critiques ont apprécié que les personnages ressemblent davantage à de véritables êtres humains qu’à de « robots ou mécanismes servant uniquement à résoudre des crimes ».
Fait intéressant : en 2023, cette partie a bénéficié d’un remake complet avec un scénario significativement réécrit. Mais nous y reviendrons plus tard. Pour l’instant, passons à la suite.
Sherlock Holmes versus Arsène Lupin, 2007
Intrigue
Un épisode plein d’esprit qui ne se limite pas à un simple duel d’intellects, mais reflète aussi la rivalité historique entre la Grande-Bretagne et la France, incarnée ici dans l’affrontement entre Sherlock Holmes et Arsène Lupin (le héros des romans et nouvelles de Maurice Leblanc). Tout commence lorsque Sherlock Holmes et le Dr Watson reçoivent une lettre du célèbre « gentleman-cambrioleur » français, Arsène Lupin. Dans cette lettre, Lupin lance un défi à Holmes, annonçant qu’il volera cinq œuvres d’art précieuses dans les musées londoniens en cinq jours pour les ramener à leur « véritable patrie ».
Style et gameplay
La version rééditée en 2010 introduit un système d’indices (auparavant absent, pour une expérience plus exigeante) ainsi qu’une amélioration significative des graphismes : meilleurs effets visuels, éclairages retravaillés, et des décors bien plus détaillés. Ces changements rapprochent la série du niveau de cinématographie qui caractérisera les opus ultérieurs.
Un aspect notable de ce jeu est son volet éducatif. En visitant des lieux emblématiques tels que la National Gallery de Londres, le British Museum, la Tour de Londres et Buckingham Palace, le joueur peut découvrir des reproductions virtuelles d’œuvres d’art célèbres, accompagnées de descriptions informatives.
En outre, le jeu regorge de références à la culture mondiale, aux successeurs littéraires de Conan Doyle, ainsi qu’aux jeux précédents de Frogwares, qu’ils soient liés à Sherlock Holmes ou non. Pour compléter cette immersion dans le « beau », la bande-son intègre des morceaux classiques de compositeurs tels que Camille Saint-Saëns, Franz Schubert, Edvard Grieg, Modeste Moussorgski, Piotr Tchaïkovski et Antonín Dvořák.
Accueil
Le jeu a été bien accueilli dans l’ensemble, grâce à son scénario solide, ses nombreuses références et l’accent mis sur un duel d’intellects captivant. Toutefois, il a aussi donné lieu à un célèbre mème, celui du « Creepy Watson ». Ce surnom est né du fait que le personnage de Watson n’avait pas d’animation de marche visible dans le jeu ; il restait immobile lorsqu’on le regardait. Mais, en vue à la première personne, il apparaissait soudainement dans le champ de vision du joueur, défiant toute logique physique.
Les développeurs, dotés d’un sens de l’humour, se sont moqués de cette bizarrerie dans une vidéo promotionnelle intitulée The Return of Creepy Watson, diffusée avant la sortie de Crimes and Punishments.
Fait intéressant : En raison des spécificités des marchés, le jeu a été publié sous différents titres : Sherlock Holmes vs The King of Thieves au Royaume-Uni, et Sherlock Holmes: Nemesis en Amérique du Nord.
Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur (Sherlock Holmes versus Jack the Ripper), 2009
Intrigue
L’année est 1888. Une série de meurtres atroces commence avec celui de Polly Nichols, une prostituée, plongeant Londres dans la terreur. Sherlock Holmes et le Dr Watson, intrigués par les récits dans les journaux, lancent leur propre enquête dans le quartier sombre et malfamé de Whitechapel. Les meurtres, cependant, continuent, et l’identité de Jack l’Éventreur reste un mystère.
Cette intrigue mêle avec habileté fiction et réalité. Arthur Conan Doyle, vivant à l’époque des crimes de Jack l’Éventreur, était lui-même fasciné par ces événements qui faisaient la une des journaux. Certains pensent que l’idée de Sherlock Holmes est née en réponse au besoin du public pour un détective fictif capable de résoudre de telles énigmes mieux que la police de l’époque, dont la réputation était mise à mal. Pourtant, Doyle n’a jamais mentionné explicitement Jack l’Éventreur dans ses œuvres, préférant des références voilées.
Style et gameplay
Le jeu adopte un ton sombre, reflet fidèle du Londres victorien dans ses aspects les plus sordides. Le rendu visuel accentue l’atmosphère oppressante de Whitechapel, avec des rues crasseuses et des intérieurs lugubres. En revanche, l’ambiance sonore est minimaliste. Deux thèmes principaux, créés par les développeurs, alternent entre jour et nuit, complétés par quelques morceaux classiques déjà présents dans les jeux précédents.
Un ajout marquant est la Tableau de Déduction, une mécanique qui permet de reconstituer les scènes de crime. Grâce à cette interface, le joueur analyse les indices, établit des liens et formule des hypothèses logiques. En parallèle, le jeu propose des énigmes plus traditionnelles, louées par la critique pour leur variété et leur complexité croissante au fil de l’aventure.
Accueil
Cette itération est souvent considérée comme l’une des plus mémorables pour son scénario captivant et son esthétique. La possibilité de basculer entre les vues à la première et à la troisième personne, combinée à une progression équilibrée du niveau de difficulté, a été bien accueillie. Les critiques ont également salué l’ajout de la Tableau de Déduction, qui enrichit l’expérience en rendant l’investigation plus immersive.
Cependant, tout n’est pas parfait : certains ont jugé les graphismes grossiers et peu attrayants, bien que cela puisse être attribué à la volonté de reproduire l’atmosphère dégradée des quartiers pauvres de Londres. Globalement, le jeu a reçu des critiques positives, avec des scores oscillant entre 71 % et 76 % sur les agrégateurs.
Conclusion
Cette analyse clôt la première partie de notre guide sur les aventures vidéoludiques de Sherlock Holmes, couvrant la période 2002-2009. La série, bien qu’imparfaite dans ses débuts, a su évoluer, trouvant un équilibre entre fidélité au canon holmésien et innovation.
Mais ce n’est pas la fin. La deuxième partie, qui explorera les jeux publiés entre 2012 et 2023, promet encore plus de surprises, y compris des remakes et des mécaniques de jeu révolutionnaires. À bientôt pour la suite !